• Fiscalité automobile : les voitures polluantes sont encore largement exonérées du principe du pollueur-payeur

    Selon un nouveau rapport de Transport & Environment (T&E), les ⅔ des véhicules thermiques neufs vendus en France ne sont pas affectés par le malus CO2, tandis que l’actuelle remise des prix à la pompe fait de la France la championne européenne du soutien aux carburants fossiles.

    La fiscalité automobile française est inadaptée aux enjeux climatiques actuels et freine la transition du marché automobile vers l’électrique. Voici la conclusion de la toute première analyse comparative de l’ensemble des systèmes de taxation des voitures en Europe, publiée par T&E.

    La France en perte de vitesse sur l’électrification de son marché automobile

    Dans le détail, le rapport démontre que la France n’a pas su conserver le leadership dans l’accompagnement de l’électrification automobile dont elle s’était emparée avec l’introduction précoce du bonus-malus, en 2008-2009. Au contraire, elle est désormais en perte de vitesse par rapport aux autres pays européens : entre 2015 et 2022, le pays est passé de la 5ème place à la 13ème place européenne pour la part des voitures électriques dans le total des ventes de véhicules particuliers neufs.

    Léo Larivière, responsable du plaidoyer électrification des flottes chez T&E, explique : “La France s’est dotée des bons instruments fiscaux mais n’exploite pas suffisamment leur potentiel incitatif. Cela nous pénalise sur l’atteinte de nos objectifs climatiques, entretient notre dépendance aux énergies fossiles et nous place en mauvaise position dans la course à l’électrification par rapport à nos voisins européens.”

     Des incitations fiscales à l’électrification des voitures insuffisantes

     Politique phare de la France, le malus automobile symbolise les insuffisances de la fiscalité automobile française. Pensé pour inciter les particuliers à acheter des véhicules moins polluants par le biais d’une taxation croissante en fonction des émissions de CO2, le malus pâtit en pratique d’un seuil de déclenchement trop élevé. En 2021, les ⅔ des véhicules thermiques neufs vendus sur le marché automobile se situaient sous ce seuil et n’étaient donc pas affectés[1],[2]. C’est le cas, par exemple, d’une Peugeot 208 roulant à l’essence ou au diesel, modèle de voiture le plus vendu en 2021.

    Pour le tiers des véhicules thermiques effectivement concernés par le malus CO2, les niveaux de taxation n’augmentent pas suffisamment à mesure que les émissions s’accroissent. L’effet incitatif est ainsi fortement atténué : de fait, seuls 3 % des véhicules thermiques neufs achetés en 2021 étaient concernés par un malus de plus de 1 000 €[3]. En moyenne, un particulier achetant un véhicule thermique en 2021 devait s’acquitter d’un malus de 242 €, un chiffre très peu incitatif au regard du prix d’une voiture neuve[4]. A titre de comparaison, aux Pays-Bas (l’un des trois pays européens qui disposent des systèmes fiscaux les plus incitatifs), un particulier paie en moyenne 6 405 € lors de l’achat d’un véhicule thermique roulant à l’essence.

    L’effet de la Taxe sur les Véhicules de Société (TVS)[5], payée annuellement par les entreprises pour les voitures qu’elles détiennent, est lui aussi très faible : seuls 2,3 % des véhicules fonctionnant au pétrole achetés en 2021 seront par exemple affectés par un niveau de taxation annuel supérieur à 1 000 € (les voitures émettant plus de 156 gCO2/km). Plus généralement, l’ensemble des dispositifs fiscaux applicables aux véhicules de société (TVS, amortissement, avantages en nature) n’incitent pas suffisamment à l’électrification des flottes et doivent être réformés.

    La France, championne d’Europe du soutien aux véhicules thermiques

    Au-delà de ces insuffisances, la fiscalité automobile française tolère encore de nombreux soutiens aux voitures thermiques. C’est le cas des plus de 7,5 milliards d’euros de subventions publiques aux carburants fossiles accordées entre avril et décembre 2022 dans le cadre de la remise sur les prix à la pompe (sans compter la prolongation de la remise à 30 centimes d’euro décidée en octobre 2022). Avec ce dispositif, la France pointe aujourd’hui à la déshonorante première place des pays européens qui soutiennent le plus les carburants fossiles.

    C’est le cas également de la prime à la conversion, toujours applicable à une grande partie des véhicules thermiques neufs ou d’occasion[6] : ici encore, la France se révèle championne des soutiens aux thermiques en étant l’un des trois derniers pays européens à continuer à subventionner directement ces véhicules polluants (avec l’Italie et la Roumanie).

    Enfin, de nombreuses dérogations fiscales sont encore accordées aux véhicules hybrides rechargeables. Pourtant, les études démontrent qu’en conditions réelles, ces voitures émettent trois à cinq fois plus de CO2 que les mesures officielles.

    Une réforme est nécessaire

    Léo Larivière conclut : “La fiscalité automobile actuelle ne répond pas à l’urgence de la crise climatique, ni à l’ambition du Président Macron et de son gouvernement d’accélérer la transition vers le 100 % électrique. Il faut la réformer le plus rapidement possible et généraliser le principe du pollueur-payeur. Il est grand temps de faire disparaître tous les soutiens fiscaux qui sont encore accordés aux thermiques et aux énergies fossiles. Et il est indispensable de mieux exploiter le potentiel incitatif de notre système fiscal pour progresser vers l’électrification du marché automobile”.

    L’ONG appelle en particulier à réformer la TVS et le malus CO2 pour les appliquer à l’ensemble des véhicules thermiques et les rendre plus incitatifs, exclure les véhicules thermiques de la prime à la conversion et réformer les dispositifs fiscaux applicables aux véhicules de société (amortissement et avantage en nature). Le détail des réformes proposées sont à retrouver dans une note (briefing) disponible sur le site de l’ONG.

    Transport & Environment publie The Good Tax Guide, une analyse comparative de l’ensemble des systèmes de taxation des voitures en Europe. Les comparaisons du rapport portent sur 31 pays, sept formes de taxation et deux types d’immatriculation (entreprises et particuliers).

    [1] En 2021, le seuil de déclenchement du malus CO2 était fixé à 133 g CO2/km. De façon illustrative, l’abaissement du seuil à 128 g CO2/km (seuil applicable en 2022) aurait conduit à exempter plus de la moitié des véhicules thermiques neufs vendus en 2021 (54 %). L’abaissement à 123 g CO2/km (prévu pour 2023) conduirait à l’exemption de 4 véhicules thermiques neufs sur 10 vendus en 2021 (39 %).

    [2] De même, 99,5 % des immatriculations de véhicules thermiques ne seront pas affectées par le malus au poids, en raison d’un seuil de déclenchement trop élevé (1,8 tonne).

    [3] Pour un niveau d’émission supérieur à 155 g CO2/km.

    [4] Ce chiffre monterait à 368 € en 2022, compte tenu du nouveau seuil de déclenchement et de la révision du barème.

    [5] La TVS a été divisée en deux taxes sur l’affectation des véhicules à des fins économiques à compter du 1er janvier 2022.

    [6] Jusqu’à 127 g/km de CO2 depuis le 1er janvier 2022.