• L’éco-bonus européen : un nouvel outil de politique industrielle pour l’Europe ?

    Le bonus écologique lancé par la France pourrait être dupliqué en Europe, avec quelques modifications.

    La France a présenté en septembre un nouveau critère environnemental pour l’octroi du bonus écologique à l’achat des véhicules neufs, une première [1]. A partir de 2024, ce bonus, d’un montant actuel de 5 à 7 000 euros, sera conditionné à la valeur de l’empreinte carbone de la production du véhicule électrique: seuls les véhicules ayant une empreinte carbone en deçà de 14,75t pourront prétendre à l’obtention du bonus.

    Les données sur la recyclabilité des matériaux et l’usage de matériaux biosourcés seront également prises progressivement en compte. Cette initiative présente de nombreux intérêts et pourrait être répliquée par d’autres pays européens, l’Italie ayant d’ores et déjà annoncé son intérêt pour cette mesure. Mais pour en faire un instrument européen solide, des améliorations de la méthodologie seront nécessaires.

    L’intérêt environnemental de l’application de cet éco bonus est évident : si le passage à l’électrique doit être soutenu et accéléré, il n’est pas suffisant pour garantir une décarbonation de la production des véhicules. C’est bien une décarbonation profonde de l’automobile qui est en jeu, et celle-ci implique de réduire les impacts tout au long du cycle de vie, depuis la production jusqu’à la fin de vie, en considérant la consommation de matières et d’énergie. 

    Cibler les subventions pour mieux soutenir l’industrie

    Mais l’ambition dépasse ici le strict enjeu environnemental. C’est un moyen pour la France de favoriser les véhicules made in France et made in Europe et d’y réserver les subventions. En se basant sur l’empreinte environnementale de la production, les voitures électriques importées de pays aux mix énergétiques très carbonés, comme la Chine, mais aussi les voitures les plus lourdes et assemblées avec des batteries importées d’Asie ne seront pas éligibles au bonus et verront leur avantage prix réduit.

    D’après les estimations préliminaires de T&E [2], cela pourrait concerner des véhicules tels que SAIC MG4 ou la Tesla Model 3 (toutes deux autours de 15-16 tCO2) et potentiellement des modèles Allemands tels que la BMX iX (18-19 tCO2) ou la Audi Q8 e-tron (15-16 tCO2). La liste des véhicules éligibles est annoncée pour le 15 décembre. 

    La France initie donc avec cette conditionnalité environnementale du bonus un nouvel outil de politique industrielle, pour sécuriser ses investissements dans la réindustrialisation et soutenir la compétitivité de l’industrie française et européenne, qui a pris un fâcheux retard face à la concurrence chinoise. N‘ayant n’a pas pu convaincre l’Europe de développer un “Buy European Act” similaire de l’IRA américain, qui aurait favorisé la production européenne de voitures électriques et protégé le marché de la concurrence internationale, elle espère sans doute rallier d’autres pays. 

    L’Allemagne, préoccupée de maintenir sa balance commerciale avec la Chine, ne souhaite pas de mesures protectionnistes, et a largement influencé les politiques européennes en réponse à l’Inflation Reduction Act américain, qui ont dès lors accouché d’une souris. Plusieurs autres pays, Italie en tête, pourraient se montrer intéressés par l’application de telles conditionnalités.  D’ailleurs, l’initiative pourrait bien avoir un effet très limité si elle n’est pas mise à l’échelle européenne. 

    Des améliorations nécessaires en vue d’une mise à l’échelle européenne

    A plusieurs égards, la méthodologie actuelle – véritable bijou de complexité – fait l’impasse sur les faiblesses de la filière automobile française et européenne: en particulier le trop faible volume disponible sur le marché de véhicules de petits segments, la dépendance aux batteries chinoise, le trop faible niveau de recyclabilité… Ainsi les véhicules dont l’empreinte dépassent 14,75 tCO2eq à la production ne seront pas éligibles, mais aucune différence n’est faite entre une Zoé et une 3008. La méthode s’appuie par ailleurs sur des facteurs d’émission non sourcés, qui pourraient rapidement être considérés comme arbitraires. 

    Le signal donné aujourd’hui devra donc s’appuyer sur une méthode renforcée, plus transparente dans les années à venir pour avoir un impact positif réel sur la filière. C’est seulement dans ces conditions qu’elle donnera un avantage compétitif soutenable à la filière automobile. Une mise en cohérence avec les réglementations européennes existantes et à venir (en particulier avec le règlement batteries et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières), impliquant une harmonisation des méthodes de calcul, est souhaitable. C’est également un moyen de faciliter l’application de cet outil industriel par d’autres pays européens.

    T&E propose par ailleurs d’introduire de la progressivité dans le système d’éligibilité au bonus : un système où une voiture moins gourmande en CO2 bénéficierait d’un bonus plus élevé.Enfin, dans un souci de cohérence, ce barème pourra ensuite être appliqué à d’autres domaines de la fiscalité automobile, notamment aux flottes professionnelles via la taxe sur les véhicules de société. Ces flottes représentent une voiture neuve achetée sur deux et tirent le marché vers des voitures plus massives et plus lourdes. 

    Le conditionnement du bonus écologique est un signal à l’attention des automobilistes mais surtout des constructeurs, en faveur d’efforts supplémentaires pour décarboner l’industrie automobile. Mais plus qu’un signal, il peut ouvrir la voie à une transformation des politiques publiques à l’échelle nationale et européenne, à même d’orienter les investissements et les subventions publiques vers les produits les plus soutenables et décourager la production et la vente des véhicules à hautes empreintes carbone. 

    Notes aux éditeurs 

    [1] Ce bonus permet aujourd’hui aux acheteurs, particuliers et entreprises- de bénéficier d’une subvention de 5 à 7000 euros- pour un véhicule électrique, dont le poids est égal ou inférieur à 2,4 tonnes et coûte au maximum 47 000 euros.

    [2] Estimations basées sur la masse des véhicules avec une répartition moyenne de la masse calculée par T&E pour l’acier et l’aluminium, et sur les données publiques concernant les batteries (masse et chimie).