• Deux euros suffisent à « verdir » un vol pour New York avec le programme de l’ONU pour l’aviation

    Selon de nouvelles données de Transport & Environment (T&E), l’OACI, agence d’aviation de l’ONU, compte sur un mécanisme de compensation pour décarboner le secteur, en ajoutant la modique somme de 2,40 € au tarif d’un long courrier (1).

    L’OACI, organisme chargé par l’ONU de réduire les émissions mondiales de l’aviation, s’appuie sur un mécanisme consistant à acheter des crédits de compensation d’émissions qui s’est révélé totalement inefficace jusqu’à présent pour réduire l’impact climatique de l’aviation. Une nouvelle analyse de T&E montre qu’en moyenne, pour un vol entre l’Europe et les États-Unis, un passager ne devrait débourser que 2,40 € pour compenser ses émissions de carbone en 2030. Sur un vol à destination du Moyen-Orient, le supplément par passager s’élèverait à 1,40 €; vers la Chine, seulement €3.5. Selon T&E, ces montants sont insuffisants, compte tenu de ce que coûte la décarbonation du secteur de l’aviation.

    Pour compenser leurs émissions dans le cadre du programme CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation, ou Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale) des Nations Unies, toutes les compagnies aériennes opérant des vols depuis l’Espace économique européen (EEE) vers les États-Unis devraient payer un total de 118 millions d’euros en 2030, soit seulement 0,4 % de leurs coûts d’exploitation totaux en 2030. Pour les transporteurs exploitant des vols de l’EEE vers le Moyen-Orient, l’achat des crédits de compensation équivaudrait à une somme de 40,3 millions d’euros en 2030 – c’est-à-dire 0,3 % du total de leurs coûts d’exploitation.

    Jo Dardenne, responsable de l’aviation à T&E, a déclaré : « Le système de compensation est une fraude climatique, mis en place par une industrie réticente à agir pour le climat. Payer deux euros pour se donner bonne conscience sur un vol vers New York est une aberration environnementale. Il est inacceptable que les ministères des transports continuent de brandir la compensation comme une solution miracle. Quelle que soit la décision de l’OACI lors de son Assemblée, elle ne sera jamais à la hauteur du problème climatique de l’aviation. »

     Le régime de compensation CORSIA repose sur le fait que les compagnies aériennes paient pour contrebalancer les augmentations d’émissions au-delà d’un certain seuil de référence. Les compagnies aériennes ayant exercé une forte pression durant la pandémie, l’OACI a revu ce seuil en le faisant passer de la moyenne calculée sur 2019 et 2020 à la seule année 2019. Le niveau de référence initial incluait l’année 2020, une année marquée par la COVID, avec des vols plus rares et des émissions dès lors plus faibles, ce qui avait fait baisser le seuil de référence, impliquant ainsi davantage d’émissions à compenser. Si le seuil basé sur 2019 devait rester en place après la phase pilote de CORSIA (2021-2023), comme proposé par des acteurs de l’industrie, le coût par passager pour les vols à destination des États-Unis serait encore plus insignifiant : à peine 0,80 € en 2030.

    Cela fait des années que T&E, ainsi que d’autres groupes environnementaux, remet en question l’utilisation des crédits compensatoires pour réduire les émissions liées à l’aviation. L’étude démontre aujourd’hui que, pour tous les vols depuis l’EEE vers les États-Unis en 2030, les compensations CORSIA – quand bien même elles soient efficaces – représenteraient à peine 8,6 millions de tonnes de CO2. Selon la croissance actuellement prévue du trafic aérien, l’ensemble des vols EEE-Etats-Unis représenteront 23,5 millions de tonnes de CO2 émis dans l’atmosphère d’ici 2030. Les compensations de CORSIA ne couvriraient donc que 36,7 % des émissions entre les deux continents au début de la prochaine décennie. Ainsi, il est très peu probable que le secteur atteigne son objectif de neutralité en 2050, tout en omettant également de prendre en compte les effets non-CO2 de l’aviation.

    Dans une industrie qui bénéficie d’exonérations fiscales et de subventions depuis des décennies, le principe du pollueur-payeur doit être utilisé pour inciter les compagnies aériennes à réduire leur empreinte carbone, selon T&E. Plus il en coûtera cher de polluer, plus la transition vers des solutions durables sera rapide. L’UE a mis en place un système de ce type, le SCEQE, dans le cadre duquel les compagnies aériennes doivent payer pour leur pollution.

    Toutefois, le SCEQE n’encadre pour le moment que les vols intra-EEE, tandis que les vols intercontinentaux font l’objet d’une dérogation. L’étude montre que, si cette dérogation était levée, le coût moyen supplémentaire par passager sur un vol EEE-États-Unis s’élèverait à 48,10 € et à 69,50 € sur un vol pour la Chine. Pour les transporteurs exploitant des vols vers ces régions du monde, un peu plus de 7 % des coûts d’exploitation devraient ainsi être déboursés pour acquérir les permis d’émission de carbone. Après des années à polluer presque gratuitement, les compagnies aériennes doivent être contraintes par la loi à payer pour leur pollution, affirme T&E. Les revenus générés peuvent ensuite être réinvestis dans des solutions durables et des carburants plus propres, comme l’e-kérosène ou l’hydrogène verte.

    « Voilà des décennies que le secteur aéronautique pollue sans débourser un centime. L’OACI, ainsi que certains pays comme la Chine et la Russie, semblent souhaiter une prolongation de ce statu quo. L’UE ne doit pas se laisser faire : elle doit montrer la voie en matière de climat, grâce à son marché du carbone. Le Parlement européen est allé jusqu’à proposer la tarification des vols long-courriers au départ de l’UE– qui représente la plus grosse partie du problème », a conclu Jo Dardenne.

     Lors de sa 41e Assemblée générale, l’OACI statuera également sur un objectif global ambitieux à long terme. D’après T&E, cet objectif de réduction des émissions à long terme, qui n’est doté d’aucun mécanisme visant à sa mise en œuvre, est un écran de fumée. Plusieurs pays ont déjà déclaré que cet objectif ne devait en aucun cas limiter la croissance de leur industrie aéronautique, rendant ainsi un objectif de neutralité climatique inatteignable.

     

    (1) Les calculs sont basés sur le « scénario idéal », dans lequel le seuil de référence de la phase pilote (2021-2023) est l’année 2019, et la période 2024-2035 est basée sur une moyenne des années 2019 et 2020. Les pays participants sont les 115 pays signataires de l’accord CORSIA, et les cinq pays principaux en matière d’aéronautique qui se joignent au programme à partir de 2027, lors de la phase obligatoire. Pendant la pandémie de COVID, les compagnies aériennes ont fait pression pour abaisser le seuil de référence en ne se basant que sur l’année 2019.