Alors que le Salon du Bourget démarre ce lundi, une nouvelle étude de T&E montre que si l’Europe, et notamment la France, peuvent être pionnières dans la production d’e-kérosène, le carburant d’aviation durable (CAD) au plus fort potentiel de décarbonation, plusieurs freins menacent néanmoins cet avantage stratégique.
L’Europe, notamment grâce à la France, a les moyens de devenir l’un des leaders de la production d’e-kérosène, avec près de la moitié des capacités mondiales annoncées. D’après une nouvelle analyse de T&E, plus de 40 projets de production à grande échelle [1] sont prévus sur le continent, avec un potentiel de 3 millions de tonnes (Mt) par an - soit environ 5% du carburant consommé par le secteur aérien en Europe actuellement. La France serait le premier producteur européen, avec 0,8 Mt prévues, si tous les projets annoncés aboutissaient (voir notre carte interactive).
L'avance de l'Europe sur le marché de l'e-kérosène est due à la loi de l'UE sur les carburants d'aviation durable (CAD, ou SAF, Sustainable Aviation Fuel), ReFuelEU, qui fixe des objectifs d'incorporation des e-carburants dans l'aviation. Si tous les projets annoncés étaient réalisés, l'UE pourrait atteindre ces objectifs. Néanmoins aucun des projets d'ampleur identifiés dans ce rapport n'est en cours de construction. Seules quatre d'entre eux sont à un stade avancé [2], et aucun n'a pris de décision finale d'investissement. Cette lenteur est due à toute une série de défis, le premier d'entre eux étant le financement. L'absence des fournisseurs de carburants historiques dans le lancement de cette filière contribue également à cette lenteur.
Jérôme du Boucher, responsable aviation à T&E France, explique : « La loi européenne sur les carburants d'aviation durables a donné le coup d'envoi d'une révolution de l'e-kérosène en Europe, mais les fournisseurs de carburants ne profitent pas de ce potentiel. En l'absence de décisions finales d'investissement, l'objectif de l'UE pour 2030 et les projets d'une aviation moins carbonée sont voués à l'échec. Pour réussir, ces projets ont besoin d'un cadre juridique stable, tel que fourni par ReFuelEU, et d'un financement par le biais d'un ensemble de mécanismes de soutien public et d'investissements de capitaux privés ».
Avec un potentiel de réduction des émissions de CO₂ de plus de 90% par rapport au kérosène fossile, l'e-kérosène est un élément clé de la décarbonation de ce secteur dont les fortes émissions devraient continuer à augmenter [3].
Si l'Europe est actuellement le leader pour les projets de e-kérosène [4], d'autres marchés se développent. La Chine occupe la deuxième position : plus de 10 projets à grande échelle y ont été annoncés, représentant environ 20 % de la capacité mondiale. Les États-Unis accélèrent également le rythme, avec le plus grand accord d'achat d'e-kérosène conclu à ce jour par une startup américaine. L'une des premières décisions finales d’investissement au monde pour une usine d'e-kérosène à grande échelle a d'ailleurs été conclue en mai par Infinium, une autre startup basée aux États-Unis [5].
Malgré des conditions favorables, les projets d'e-kérosène continuent de se heurter à des obstacles importants en Europe : coûts de l'énergie, développement des infrastructures, approvisionnement en CO₂. L'incertitude réglementaire est également un problème, en raison des pressions exercées par l'industrie pour retarder les objectifs de ReFuelEU en matière de SAF, ce qui rend la révision de la législation prévue pour 2027 particulièrement sensible.
Le financement constitue le principal obstacle, chaque usine nécessitant un investissement de 1 à 2 milliards d'euros, ce qui porte le total des besoins en capitaux à 10 ou 20 milliards d'euros d'ici à 2030. Les mécanismes de financement de l'UE pour l'e-kérosène ne sont pas assez solides pour soutenir le niveau d'investissement nécessaire au lancement de ces projets, et les majors pétrolières ne répondent pas présents. À ce jour, elles contribuent de manière infime au développement de l'e-kérosène, tout en continuant à dépenser des milliards pour les combustibles fossiles.
T&E demande instamment aux dirigeants européens de réaffirmer leur engagement envers les objectifs existants de ReFuelEU, en particulier à l'approche de la révision prévue de la législation, et de donner la priorité à l'e-kérosène dans le plan européen d'investissement pour les transports durables (STIP). T&E appelle également à la création d'un marché intermédiaire européen utilisant un mécanisme d'enchères doubles (double-sided auction) afin de résoudre les problèmes de financement actuels.
« Malgré leur énorme capacité financière, les grandes compagnies pétrolières sont largement absentes du marché de l'e-kérosène, indique Jérôme du Boucher. Les start-ups ont pris les devants, mais elles manquent de ressources internes pour financer l'infrastructure à forte intensité de capital qui est nécessaire de toute urgence. L'adhésion des grandes compagnies pétrolières et la mise à niveau des mécanismes de financement de l'UE donneraient à l'e-kérosène l'essor dont il a besoin. Le prochain plan d'investissement dans les transports durables est l'occasion de définir la bonne trajectoire en donnant la priorité à l'e-kérosène et en fournissant un mécanisme complet pour relever les défis auxquels les projets de l'UE sont confrontés.»
Notes
[1] Les projets à grande échelle sont définis comme ayant une capacité de production de plus de 10 000 tonnes d'e-kérosène par an.
[2] Cela signifie que le projet se trouve soit dans la phase de Front-End Engineering Design (FEED) ou attend sa décision finale d’investissement après avoir réalisé son FEED.
[3] T&E, 2025. Down to earth: Why European aviation needs to urgently address its growth problem
[4] Les cinq premiers marchés en termes de capacité de production annoncée sont la France (0,8 Mt), la Norvège (0,3 Mt), la Finlande (0,3 Mt), la Suède (0,3 Mt) et les Pays-Bas (0,3 Mt), des pays qui se targuent d'avoir un production électrique électrique bas carbone et d'importantes ressources en énergies renouvelables. La France accueille le plus grand nombre de projets annoncés en Europe (11), avec un doublement des projets et de la capacité de production annoncés depuis l'année dernière.
[5] Le projet Infinium devrait permettre de produire jusqu'à 23 000 tonnes d'e-carburants par an.
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