Tribunes

Pour une voiture électrique populaire

Lucien Mathieu — novembre 28, 2022

Les voitures électriques sont l'avenir de la mobilité automobile. Elles émettent cinq fois moins de CO2 que les voitures thermiques en France, ne dépendent pas des importations de pétrole, sont agréables à conduire et peu chères à l’utilisation. Il est donc urgent de les rendre accessible au plus grand nombre, en privilégiant des modèles plus sobres.

Les voitures électriques sont aujourd’hui plus chères à l’achat que les voitures thermiques, malgré un coût d’utilisation nettement inférieur. La massification de la production est le meilleur moyen de baisser les coûts et amènera les prix des modèles électriques au même niveau que celui des thermiques d’ici 2027. D’ici là, il est urgent de rendre les véhicules électriques abordables pour tous, y compris aux ménages modestes. Le “leasing social” annoncé par Emmanuel Macron doit aller dans ce sens et permettre de rendre la voiture électrique accessible. 

Un manque de justice sociale dans les aides aux véhicules électriques

Aujourd’hui, seuls 9 % des ménages les plus modestes achètent leur véhicule sur le marché du neuf. Parmi ces ménages, seul une petite proportion achète des voitures électriques (la part de la voiture électrique pour les ménages est autour de 17% en France sur 2022). On estime donc que la part des ménages modestes qui bénéficient d’une aide à l’achat des voitures électriques neufs est aux alentours de 1%. 

Ceux qui veulent acheter du neuf en version électrique auront un choix limité : seuls 4 modèles électriques sont proposés à moins de 30.000€ [1], soit environ 2 % de la gamme totale. Un modèle électrique de petit segment (autour de 1 300 kg) coûte près de 20.000€ alors que le véhicule électrique moyen (2 500 kg) coûte autour de 50.000€ [2]. Difficilement accessible, même avec des aides d’État. 

Des voitures plus lourdes et plus chères

Pourtant, le prix moyen d’un véhicule neuf a augmenté de 7000 € entre 2010 et 2020 pour atteindre 27.000 €. Cette augmentation est directement liée à la stratégie des constructeurs de montée en gamme, et d’augmentation du poids et de la puissance. Les petits modèles sont délaissés (de 48% en 2010 à 40% en 2020) pour des SUV plus chers, jugés plus rentables par les industriels (de 10% en 2010 à 39% en 2020). De 2010 à 2020, le poids moyen d’un véhicule essence est passé de 1 004 kg à 1 129 kg, soit un gain de plus de 12 kg par an.

Revoir le soutien aux voitures électriques en ciblant la part des ménages modestes comme l’a annoncé Emmanuel Macron va évidemment dans le bon sens. Mais ce n’est pas suffisant. Une réflexion plus profonde est nécessaire pour mieux cibler les 9 millions d’automobilistes précaires et pour orienter la production de voitures électriques vers des modèles véritablement adaptés aux besoins.

Face à ce manque de véhicules électriques abordables, il faut évidemment réformer notre modèle de soutien à la voiture électrique pour le rendre plus juste et supprimer tout soutien aux thermiques. Mais il faut surtout aller plus loin pour faire advenir la voiture électrique du peuple.

La voiture électrique populaire, made in Europe

La solution se trouve dans le développement massif de la mesure de “leasing social”. Promise par Emmanuel Macron lors de sa campagne de réélection, elle devrait permettre aux foyers modestes qui dépendent du véhicule de louer un véhicule électrique pour 100 € par mois. Par un soutien aux véhicules électriques d’entrée de gamme, l’Etat enverra un signal fort au marché. Une forte demande de véhicules électriques abordables, garantie par l’État, et soutenue par une politique industrielle complète et cohérente fera advenir un marché de masse pour la production du véhicule électrique du peuple.

La clé de la mise en œuvre est le double ciblage. En amont, seuls les véhicules électriques d’entrée de gamme, les plus sobres, et produits en Europe pourraient bénéficier du programme. Cela orientera la production des constructeurs européens vers des modèles de taille adaptés, abordables, mettant ainsi un coup d’arrêt à la tendance actuelle du “toujours plus”. En aval, le dispositif devra cibler ceux qui cumulent bas revenus, dépendance à la voiture et longues distances à parcourir au quotidien, en priorisant ceux qui vivent en milieu rural et à proximité d’une ZFE. 

Un soutien à l’électrification moins onéreux que le soutien aux carburants fossiles

Des voitures telles que la Peugeot 208 ou la Renault Zoé peuvent déjà se louer pour près de 200 € par mois. Une subvention mensuelle d’environ 100 € par voiture électrique, soit 1 200 euros par an, rendrait ces véhicules accessibles à la plupart des conducteurs, leur permettant ainsi de ne plus se ruiner en faisant le plein d’essence. Ainsi, pour 1,2 milliard d’euros par an, 1 million de ménages pourraient avoir accès à une voiture propre et abordable. Un montant minime comparé aux 7,5 milliards d’euros de réductions de taxes sur les carburants accordés par l’Etat en 2022. 

Grâce à cette mesure, les coûts de production de ces modèles baisseraient, et permettraient à la contribution de l’État de diminuer au fil du temps. En jouant sur un programme de long terme, associé à des périodes de leasing plus longues et à une garantie sur la valeur résiduelle, l’État pourra garantir une montée en puissance du dispositif soutenable pour les finances publiques. 

Une transition juste socialement

Le gouvernement doit avoir le courage de proposer un dispositif de leasing social ambitieux dès 2023. En cas de succès, il ne serait pas étonnant de voir d’autres pays européens emboîter le pas à la France pour faire advenir le véhicule électrique du peuple européen. Associé à un soutien continuel de la recharge, aux usines de production de voitures électriques, à la création d’une chaîne de valeur pour les batteries et à une politique industrielle forte en faveur des voitures électriques, à l’instar des mesures prises par les Chinois et les Américains, ce nouveau programme donnerait un coup de fouet à l’industrie automobile européenne. 

La transition vers une économie décarbonée ne saurait se passer de justice sociale, au risque d’être retardée, voire de dérailler. Il est grand temps de se mettre à soutenir les plus modestes et de leur proposer des solutions de mobilité propre, adaptées à leurs besoins. Grâce au leasing social, les véhicules électriques peuvent devenir véritablement abordables pour tous.

 

Tribune initialement publiée sur le site du Nouvel Observateur. 

Notes : 

[1] Smart EQ fortwo coupe, Smart EQ fortwocabrio, Dacia Spring, Renault Twingo

[2] Moyenne sur 189 modèles, source: EV-database, prix pour l’Allemagne, avant subvention, inclus les variantes de modèles. Pour les modèles “grande consommation” (i.e. sans les voitures de sport et de luxe la moyenne est entre 50.000€ et 60.000€.

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