Tribunes

Les voitures électriques à prolongateur d’autonomie (EREV), nouveau mirage de l’industrie automobile

25 juillet 2025

Une fois leur batterie vide, ces véhicules consomment en moyenne 6,4 litres aux 100km, soit la même chose qu’une voiture essence classique.

Par Lucien Mathieu, directeur du programme Voitures à T&E. 

Le marché européen des voitures électriques (VE) est entré dans une nouvelle phase de croissance cette année. Stimulés par les objectifs de réduction des émissions de CO₂ des voitures neuves de l'UE, qui obligent les constructeurs à vendre davantage de véhicules électriques, les constructeurs automobiles européens ont augmenté leurs ventes de VE de 45 % au cours du seul premier trimestre. Des dizaines de nouvelles voitures électriques abordables, avec un prix inférieur à 25 000 euros, arrivent sur le marché.

Pourtant, dans ce contexte, une ancienne technologie hybride fait son retour : le véhicule électrique à prolongateur d’autonomie (ou EREV, pour Extended Range Electric Vehicle). Ces EREV ont été présentés comme une innovation majeure. Mais s'agit-il d'une véritable avancée ou d’une mode associée à un marketing efficace, comme l’ont été les voitures à hydrogène ?

Une nouvelle technologie ? Pas vraiment

Les EREV possèdent une motorisation « hybride », semblable aux hybrides rechargeables (PHEV). Ils associent une batterie électrique de moyenne ou petite taille avec un moteur à combustion. Ce dernier sert seulement de générateur et alimente la batterie lorsqu'elle est déchargée. Contrairement aux véhicules hybrides rechargeables classiques, où le moteur thermique et le moteur électrique peuvent tous deux entraîner les roues (système parallèle), les véhicules hybrides rechargeables utilisent une configuration en série : seul le moteur électrique entraîne les roues.

Ce concept n'est pas nouveau. Les premières tentatives datent des années 2010 et ont été abandonnées au fur et à mesure que l'autonomie des batteries s'améliorait et que l'infrastructure de recharge se développait. Il ne fait pas non plus l'unanimité : Volkswagen doute toujours de la pertinence des EREV, du moins pour le marché européen. 

Le boom des EREV en Chine : une promesse trompeuse

La Chine a récemment connu une nouvelle dynamique en matière de véhicules électriques à prolongateur d'autonomie. En 2024, les ventes d’EREV ont largement augmenté avec 1,2 million d'unités écoulées, soit une augmentation de 79 % par rapport à l'année précédente. Stimulés par de généreuses incitations grâce à leur classification en tant que « New Energy Vehicle » (NEV), les EREV sont devenus l'un des segments à la croissance la plus rapide sur le marché chinois des NEV, bien que leurs ventes soient encore trois fois inférieures à celles des PHEV et cinq fois inférieures à celles des voitures 100% électriques.

En Europe, les EREV restent rares. Seuls deux modèles sont actuellement disponibles : le Leapmotor (marque chinoise détenue par Stellantis) C10 REEV, un SUV de taille moyenne, et le Mazda MX-30 R-EV, un petit SUV. Ces véhicules sont présentés avec des chiffres alléchants : une autonomie totale pouvant atteindre 950 km et des émissions de CO₂ autour de 10 g/km.

Mais il suffit de soulever le capot pour voir à quel point ces affirmations sont trompeuses : l'impressionnante autonomie affichée combine en fait celle de la batterie et du réservoir de carburant, sachant que la plus grande partie de la distance est couverte grâce au moteur thermique. L'autonomie électrique réelle des deux EREV européens est de 145 km pour le C10 et de 85 km pour le MX-30.

Les données du marché chinois montrent la même chose. T&E a analysé une vingtaine de modèles EREV les plus vendus en Chine, et a constaté que leur autonomie électrique était en moyenne de 185 km - probablement moins en conduite réelle. Une fois la batterie épuisée, ces véhicules - souvent des SUV encombrants - consomment en moyenne 6,4 litres aux 100 km, ce qui n'est pas mieux qu'un SUV à essence classique. En avril 2025, quelques nouveaux EREV ont été lancés en Chine avec des autonomies plus élevées (le Luxeed R7 EREV avec 284 km d'autonomie électrique et le concept VW ID.Era SUV avec 300 km d'autonomie électrique).

Les EREV ont les mêmes défauts que les hybrides rechargeables

Sur le papier, les EREV et les PHEV semblent offrir le meilleur des deux mondes : la possibilité de rouler en électrique pour les trajets quotidiens, avec l'assurance d'un moteur d'appoint pour les trajets plus longs. Mais dans la pratique, l'avantage climatique dépend entièrement de la fréquence à laquelle le véhicule est rechargé et conduit en mode électrique.

Les données en conditions réelles des véhicules hybrides rechargeables en Europe prouvent qu'ils émettent 3,6 fois plus de CO₂ que les tests officiels, en grande partie parce que de nombreux conducteurs ne les branchent pas. Si ce comportement ne change pas radicalement, les EREV ne feront pas mieux que les hybrides rechargeables et finiront par parcourir la grande majorité des kilomètres à l'aide du moteur fossile.

Rester focalisé dans le développement de l’électrique, sans distractions

Les arguments en faveur d'un moteur à combustion "de secours" disparaissent rapidement. Avec l'augmentation de l'autonomie des VE, l'arrivée sur le marché de modèles plus abordables et la multiplication des infrastructures de recharge publiques, la nécessité d'un filet de sécurité s'estompe rapidement. Dans les décennies à venir, l'idée de ravitailler un petit réservoir d'essence avec des carburants de synthèse ou des biocarburants coûteux et rares paraîtra non seulement dépassée, mais absurde. L'électricité restera moins chère, les chargeurs seront plus répandus et il sera bien plus pratique de se brancher que de chercher des stations de ravitaillement spécialisées.

Les EREV, comme les PHEV, pourraient jouer un rôle en tant que technologie hybride limitée dans le temps jusqu'en 2035. Mais uniquement s'ils sont conçus et utilisés correctement et s'ils remplacent des voitures à essence, et non des VE purs. S'ils sont mal chargés ou s'ils dissuadent les consommateurs d'acheter des voitures 100% électrique, ils aggraveront la dette climatique et seront un fardeau économique pour les consommateurs.

L'Europe doit rester concentrée sur son objectif principal : en finir avec la dépendance au pétrole et avec la pollution liée aux moteurs à combustion. La voie à suivre n'est pas celle de solutions intermédiaires ou d'hybrides rebaptisés, mais celle d'un système de mobilité résilient, propre et entièrement électrique.

L'EREV n'est pas une révolution. C'est un détour coûteux, et la transition vers les véhicules électriques ne peut plus se permettre des distractions ou des impasses.

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