Tribunes

La neutralité technologique ne sauvera pas l’industrie automobile européenne

Lucien Mathieu — 9 décembre 2025

Pour permettre aux constructeurs automobiles de rester compétitifs, l’UE doit tenir bon sur l’objectif de 2035.

C’est une annonce qui pourrait décider du sort de l’industrie automobile en Europe. La Commission européenne doit bientôt dévoiler ses arbitrages sur la révision des normes CO2 et l’objectif de 2035.

L’industrie automobile et ses alliés politiques sont en train de jeter toutes leurs forces dans la bataille. Ils réclament la “neutralité technologique”, c’est-à-dire le droit de vendre des voitures thermiques neuves après 2035. Cette stratégie de court terme serait tout simplement désastreuse. Elle détruirait les chances pour l’industrie automobile européenne de rester compétitive dans un monde où la technologie électrique est appelée à dominer les futures décennies.

Les vraies causes de la crise

Le lobby automobile est très doué pour présenter les décideurs politiques et la date de 2035 comme responsables de tous leurs maux. En réalité, la crise de l’automobile n’a rien à voir avec cette fameuse échéance.

En effet, le nombre de voitures neuves vendues en Europe a fortement baissé depuis le Covid, et reste inférieur au niveau de 2019. Mais c’est parce que les constructeurs ont priorisé leurs profits plutôt que les volumes. Entre 2018 et 2024, le prix moyen des voitures les plus populaires (segments B et C) a grimpé de 40%, passant de 22 000 euros à 30 700 euros. De nombreux constructeurs ont d’ailleurs réalisé des profits records à cette occasion.

Cette stratégie des prix a fini par se retourner contre eux. De nombreux Européens n’ont plus les moyens de se payer une voiture neuve. En Chine, les marques européennes perdent rapidement du terrain face à la féroce concurrence locale sur les voitures électriques. Pour les constructeurs, la solution magique à ces problèmes serait d’autoriser les biocarburants et la vente d’hybrides rechargeables neufs après 2035. Pourtant, cette stratégie conduirait l’industrie automobile européenne dans l’impasse.

Trois raisons simples permettent de comprendre pourquoi la neutralité technologique est dangereuse :

1. Les objectifs sont une boussole pour les investisseurs

Des objectifs clairs attirent les investissements et offrent des certitudes aux entreprises. Affaiblir l’objectif de 2035 menacerait les milliards d’euros déjà investis dans la chaîne de valeur électrique : batteries, réseaux de recharges, composants électroniques. Plus de 200 PDG et leaders industriels ont d’ailleurs récemment plaidé en ce sens dans une lettre à la Commission européenne.


2. La neutralité technologique coûtera cher aux automobilistes

Les voitures électriques sont déjà les moins chères à posséder (en incluant tous les coûts : recharge, entretien, réparation, assurance…) et seront bientôt les moins chères à l’achat. A l’inverse, les hybrides rechargeables poussés par les constructeurs coûtent 55 000 € en moyenne. Et ils coûtent également chers pour ceux qui ont des modèles d’occasion. Les carburants de synthèse coûteront entre 6 et 8 euros par litre. Quant aux biocarburants avancés, leur production limitée ne pourra pas répondre à toute la demande des transports.


3. Avec ou sans l’Europe, le monde bascule vers l’électrique

La course mondiale à l'électrification est lancée. Les ventes de véhicules 100% électriques sont en plein essor en Chine (environ 35% de part de marché en 2025) et sur les marchés en forte croissance comme le Vietnam et la Thaïlande. Même chez nous, cette transition s'accélère. Au cours du seul troisième trimestre 2025, dix pays européens ont battu de nouveaux records de ventes de véhicules électriques.

L’Europe se trouve à un carrefour

L’UE a le choix : tenir bon sur les objectifs et donner à l'industrie automobile européenne une vraie chance de rivaliser à l'échelle mondiale dans le domaine des véhicules électriques. Ou affaiblir l’ambition de 2035, et laisser les constructeurs automobiles s'accrocher à la technologie du passé des moteurs à combustion, ce qui ne fera qu'empirer les choses.

L'industrie automobile européenne a mis du temps à réaliser le retard qu'elle avait sur la Chine. Elle risque aujourd'hui de répéter la même erreur. Chaque fois que l'Europe hésite sur l'électrique, la Chine renforce son avance. Elle ne ralentira pas son électrification parce que l'Europe prolongera la durée de vie des moteurs à combustion. Et les consommateurs européens finiront par se détourner d’une technologie dépassée.

Si l'UE fait marche arrière aujourd'hui, elle risque de passer à côté du plus grand bouleversement industriel du XXIe siècle. Elle renoncerait à l’ambition de maîtriser l'une des technologies les plus importantes pour le futur et perdrait les avantages industriels, économiques et sociaux liés à l'électrification.

Pour l'UE, c'est donc le moment de maintenir le cap et de faire preuve de leadership et de vision. Toutes ces discussions sur les biocarburants, les carburants synthétiques, les hybrides et les véhicules thermiques « efficaces » ne donneront pas à l'Europe le temps et l'espace nécessaires pour rivaliser avec la Chine. Ce sont des distractions qui risquent de transformer l'UE en un musée de l'automobile. Donnons plutôt à notre industrie toutes les chances de rattraper son retard sur la technologie du futur.

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