En combinant les besoins des secteurs routier, aérien, et maritime, il faudrait produire 2 à 9 fois plus de biocarburants avancés en 2050 que ce qu’il est possible de faire de manière durable.
L’utilisation de biocarburants dans les voitures après 2035 pourrait entraîner une forte hausse de la demande en déchets tels que les graisses animales, huile de cuisson usagée, ou co-produits d’huile de palme. Selon une nouvelle analyse de T&E, un véhicule utilisant un biocarburant à base de graisses animales aurait besoin d’environ 120 cochons par an. Cet accroissement de la demande pourrait conduire les voitures, les avions et les navires à consommer deux à neuf fois plus de biocarburants avancés que ce qui pourra être produit de manière durable à l'avenir.
La semaine dernière, le lobby automobile allemand VDA s'est joint à l'association des équipementiers automobiles CLEPA et à 28 entreprises et associations du secteur des carburants pour demander à la Commission européenne que les véhicules fonctionnant aux biocarburants soient considérés comme zéro émission après 2035 [1]. L'association européenne des constructeurs automobiles ACEA a appelé de son côté à une « mise en œuvre pragmatique » des règles permettant l'immatriculation après 2035 des voitures neuves fonctionnant avec des carburants neutres en carbone.[2]
Cette requête, également soutenue par l’Italie, conduirait les voitures à s’accaparer les ressources limitées en biocarburants avancés, au détriment de secteurs difficiles à décarboner comme l’aviation. En prenant en compte les objectifs européens actuels, les secteurs aérien et maritime auront besoin, à eux seuls, du double de la production de biocarburants avancés pouvant être sourcée de manière durable en Europe.
Les biocarburants avancés, comme ceux produits à partir de déchets, peuvent être produits de manière limitée. L’Europe importe déjà plus de 80% de son huile de cuisson usagée (UCO) depuis des pays comme la Chine et la Malaisie. De leur côté, les graisses animales sont l’une des matières premières les plus répandues. Les voitures roulant en Europe consomment actuellement 1,3 million de tonnes de graisses animales, soit l’équivalent de 200 millions de cochons abattus chaque année. Pour chaque nouveau véhicule utilisant cette matière première, il faudrait abattre environ 120 cochons par an. En utilisant de l’huile de cuisson usagée, cela correspondrait à la cuisson quotidienne de 25 kilos de frites.
Bastien Gebel, responsable décarbonation de l’industrie automobile, explique : « Cette offensive en faveur des biocarburants est absurde. Les Européens ne consommeront jamais assez de frites et de porc pour répondre à la demande des secteurs maritime et aérien. Donc pourquoi vouloir de cette solution pour les voitures, alors que la technologie électrique est parfaitement adaptée à leur décarbonation? Les biocarburants ne sont qu’une diversion alimentée par le lobby pétrolier pour retarder la transition. Suivre cette voie conduira l’Europe à perdre sa compétitivité sur le marché des voitures électriques, et donc à fragiliser durablement son industrie automobile ».
L'écart considérable entre la demande et l'offre de biocarburants issus de sources durables augmentera également la dépendance de l'Europe vis-à-vis des importations. Actuellement, T&E estime que 60 % des biocarburants européens, y compris ceux issus de cultures, sont importés de pays tiers. Selon l'analyse, la demande supplémentaire de voitures créée par une faille dans la réglementation sur les biocarburants pourrait faire passer ce chiffre à 90 % en 2050.
Une dépendance accrue aux importations de biocarburants augmenterait également le risque de fraude. En effet, l'huile de palme vierge et d'autres huiles végétales comestibles peuvent être faussement étiquetées comme huiles usagées. Plusieurs enquêtes menées par T&E ont déjà révélé de grandes incohérences dans les chiffres d’importations de biocarburants usagés en Europe, ce qui laisse fortement supposer l'existence d'une fraude. Par exemple, l'Europe importe trois fois plus d'huile de cuisson usagée de Malaisie que ce qui peut être collecté dans ce pays. Dans une autre enquête, T&E a montré que l'Europe importe plus d'effluents d'huile de palme (POME) – un sous-produit de l'huile de palme – qu'il n'en est collecté dans le monde entier.
Notes:
[1] Lettre commune adressée à la Commission européenne : “Vehicles running exclusively on renewable fuels, must be recognised as zero-emission vehicles… Those fuels shall include renewable and/or synthetic fuels, such as biofuel, biogas, biomass fuel, renewable liquid and gaseous transport fuel of non-biological origin (RFNBO) or a recycled carbon fuel (RCF).”
[2] Note de position de l’ACEA d’octobre 2025 (p.8) :
ACEA-policy-paper-EU-regulatory-framework-for-the-decarbonisation-of-road-transport.pdf
Les cultures destinées aux biocarburants continuent de s’étendre dans le monde, alors que leur production mondiale émet 16 % de CO2 en plus par rappor...
L’étude de T&E montre des irrégularités flagrantes concernant l’utilisation des résidus d’huile de palme dans le diesel « renouvelable » (HVO) vendu p...
Le rapport 2025 de T&E sur l’état du transport en Europe montre que les émissions du secteur commencent à diminuer grâce à la croissance des voitures ...