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La faible innovation dans l’aérien risque de ralentir la décarbonation de l’aviation

11 juin 2025

Alors que le secteur aéronautique se prépare pour le Salon du Bourget, une nouvelle analyse de T&E montre que l’aérien mise beaucoup trop sur les technologies conventionnelles, mettant en péril ses objectifs de décarbonation. Si les avionneurs choisissaient d’innover réellement, les améliorations associées, combinées à des mesures fiscales visant notamment à contrôler le niveau de demande, permettraient d’éviter l’équivalent des émissions de CO2 annuelles de 62 millions de voitures.

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Les retards répétés dans l'innovation technologique des avions entravent la transition du secteur. Une nouvelle analyse de T&E montre pourtant que l'aviation européenne pourrait obtenir 13% de gains supplémentaires d'efficacité d'ici 2050 si elle appliquait un scénario d'innovation ambitieux mais réaliste [1], articulé avec des mesures fiscales pour contrer l’effet rebond. Ce scénario suppose que des technologies moins émettrices et plus avancées, comme les avions zéro-émission, seront développées et largement utilisées, conformément aux prévisions des experts [2]. Si les constructeurs allaient encore plus loin, les gains d'efficacité pourraient atteindre 17 %.

L'innovation dans le secteur de l'aviation a fortement ralenti au cours de la dernière décennie, et aucun nouveau modèle d'avion n'est attendu dans les dix prochaines années. Bien qu'Airbus et Boeing - les deux plus grands constructeurs d'avions au monde - aient dévoilé de nouveaux concepts disruptifs [3], y compris le premier grand avion à hydrogène au monde, ces projets ont depuis été retardés ou interrompus.

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En l'absence de nouveaux modèles, Airbus et Boeing continuent de produire des avions au design classique, équipés de moteurs modernisés [4]. Bien que cela permette de réduire les émissions, des appareils avec un design réellement innovant permettraient une réduction plus importante. Par exemple, avec une nouvelle architecture des moteurs (open rotor) ou une nouvelle structure avec des surfaces plus lisses offrant moins de résistance à l'air.

La modélisation de T&E montre que, dans le cadre d'un scénario plus ambitieux que le scénario « business as usual » de l'industrie - supposant une mise en service plus rapide de nouveaux avions innovants - les émissions cumulées de CO2 de l'aviation européenne entre aujourd’hui et 2050 pourraient être réduites de 123 millions de tonnes (Mt) d'ici à 2050. Cela équivaudrait à retirer 62 millions de voitures essence et diesel des routes européennes pendant un an. Ce scénario est tout à fait réalisable, selon les projections de l'OACI et de l'ICCT.

Jérôme du Boucher, responsable aviation à T&E France, explique : « Améliorer la conception des avions permettrait, en combinaison avec des mesures fiscales pour empêcher l’effet rebond, de diminuer la consommation d'énergie et les émissions de CO2. Mais les avionneurs continuent de faire du surplace, sapant ainsi la transition écologique de l'aviation. Pour que la technologie aéronautique ait une chance de réduire les émissions et la consommation d'énergie de l’aérien d'ici à 2050, nous avons besoin de toute urgence de politiques fortes et d'incitations ciblées pour susciter des innovations vraiment radicales, qui fassent mieux que les remotorisations archaïques auxquelles nous assistons actuellement de la part des industriels ».

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Le manque de concurrence et de politiques efficaces entravent l’innovation

Airbus et Boeing sont de loin les deux leaders mondiaux de la conception et de la production d’avions [5]. Leurs livraisons combinées devraient représenter 95% des futures émissions de l’aviation.

Suite aux récents déboires de Boeing liés à des problèmes de sécurité et à des difficultés financières, Airbus a pris la place de leader. Cependant, ses dépenses en recherche et développement (R&D) ont plafonné dans la dernière décennie, tandis que les dividendes ont explosé - passant de 500 millions d’euros en 2012 à 2,38 milliards d’euros en 2024. Au lieu d'utiliser sa position pour innover et introduire plus rapidement des technologies de rupture sur le marché, Airbus s'en remet à de petites modifications de ses avions existants. Le constructeur a aussi retardé son avion à hydrogène et qualifié d'« évolutif, pas révolutionnaire » [6] son prochain modèle d'avion propulsé par du carburant classique. Ce dernier n'est pas attendu avant « la seconde moitié des années 2030 » [7].

« Les ambitions d'Airbus sont passées du lancement de nouveaux modèles tous les dix ans à la seule amélioration de modèles anciens dans un futur proche, explique Jérôme du Boucher. Si Airbus se concentrait autant sur la décarbonation du secteur que sur la satisfaction de ses actionnaires, ses modèles pourraient changer la donne sur le marché des avions commerciaux ». Pour inverser le déclin de l'innovation technologique dans le domaine de l'aviation et contribuer à la réalisation des objectifs climatiques du secteur, T&E demande instamment aux décideurs politiques nationaux et européens d'en finir avec les exonérations fiscales dans le domaine de l'aviation. Elles incitent les constructeurs à continuer à livrer des avions alimentés par des combustibles fossiles subventionnés, au lieu de concevoir de nouveaux avions dont l'efficacité a été améliorée radicalement.

Des normes crédibles en matière de CO2 sont également nécessaires de toute urgence pour stimuler la conception et la production d'avions moins émetteurs. Enfin, il convient de soutenir les entreprises innovantes, en particulier celles qui développent des avions et des infrastructures décarbonées, ainsi que d'autres technologies de rupture, afin de rééquilibrer le marché et de prouver la viabilité des solutions de décarbonation.

Notes

[1] Dans le cadre de ReFuelEU, le kérosène fossile pourrait encore représenter 30 % de la consommation d'énergie de l'aviation d'ici à 2050.

[2] Les projections couvrent la période 2030-2040, dans la lignée des études d'experts indépendants réalisées par l'OACI, le CAEP et l'ICCT. Ce scénario tient compte des mesures fiscales visant à contrer l'effet rebond, c'est-à-dire l'augmentation possible de la consommation de ressources malgré les gains d'efficacité.

[3] Les conceptions disruptives sont des innovations de rupture comme les avions électriques ou à hydrogène, et de nouveaux concepts de cellules qui permettent des réductions d'émissions beaucoup plus importantes que les mises à niveau classiques.

[4] Certaines cellules remontent aux années 1980 dans le cas de l'Airbus A320neo, et aux années 1960 dans le cas du Boeing 737MAX. Les gains d'efficacité sont moindres que dans le cas de conceptions entièrement nouvelles utilisant les derniers développements en matière d'aérodynamique et de nouveaux matériaux.

[5] Le marché des avions court-courriers, d'une capacité de 100 à 200 passagers et d'un rayon d'action allant jusqu'à 6 000 km, est dominé par les familles Airbus A320 et Boeing 737, d'autres sociétés telles qu'Embraer et COMAC s'adjugeant une petite partie des ventes. Sur le marché des avions long-courriers de plus de 200 passagers et 6 000 km, Airbus et Boeing sont les seuls fournisseurs, avec les familles Airbus A330 et A350, et les Boeing 777 et 787.

[6] Reuters, 2025. Airbus says next jet 'evolutionary not revolutionary'

[7] Airbus, 2025. Airbus advances key technologies for next-generation single-aisle aircraft

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