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Camions électriques longue distance : la révolution est en marche dans le transport routier

17 novembre 2025

Plusieurs cas concrets de transporteurs montrent que l’électrique n’est pas un projet du futur, mais une réalité opérationnelle déjà en marche sur la longue distance.

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Imaginez un camion électrique de 40 tonnes quittant Copenhague, traversant le nord de l’Allemagne, les Pays-Bas puis la France pour rejoindre Paris. Sur ce trajet de près de 1 400 kilomètres, réalisé en deux jours et demi, il s’arrête trois fois au total pour recharger sa batterie sur des bornes publiques, à Hambourg, Zwolle, puis Lille. Ce scénario n’a rien de fictif : c’est le quotidien de Dania Connect, qui a choisi d’électrifier l’une de ses liaisons longue distance, et voit ses émissions baisser de 80% sur le cycle de vie complet des véhicules.

Quelques centaines de kilomètres plus au sud, XPO Logistics expérimente depuis 2023 un tracteur électrique (véhicule conçu pour tirer une semi-remorque, formant avec elle un ensemble articulé) sur une liaison régionale de 400 km entre Saint-Rambert-d’Albon et Bourg-en-Bresse. Trois rotations sont effectuées chaque semaine avec un chargement de 25 tonnes à l’aller comme au retour. Ici, le poids lourd électrique couvre des flux réguliers et intensifs sur plusieurs centaines de kilomètres, avec une planification de la recharge au dépôt et sans perte de capacité opérationnelle par rapport au diesel.

Ces expériences concrètes montrent que l’électrique n’est pas un projet du futur, mais une réalité opérationnelle déjà en marche sur la longue distance. Pour mieux comprendre cette transition, les spécialistes transports de Carbone 4 ont recueilli les retours d’expérience de quatre entreprises pionnières : Dania Connect et XPO Logistics donc, mais aussi Jacky Perrenot et ECTN. L’objectif n’était pas de comparer, mais de documenter comment se déroule le passage à l’électrique, les difficultés rencontrées et les leviers permettant de franchir les prochaines étapes.

Ce que racontent ces entreprises, c’est d’abord la faisabilité technique. Dans tous les cas observés, les véhicules ont parcouru des distances importantes avec un bon niveau de fiabilité et une autonomie conforme — voire supérieure — aux attentes initiales. Les expériences d’ECTN et de XPO Logistics vont dans le même sens que celles de leurs homologues : les véhicules couvrent leurs trajets quotidiens de plusieurs centaines de kilomètres avec une bonne régularité opérationnelle.

Les camions électriques roulent, leurs performances sont fiables

Les batteries offrent aujourd’hui des autonomies tout à fait compatibles avec ces usages : entre 300 et 600 kilomètres réels par charge, selon la configuration des véhicules et les conditions d’exploitation. Ces performances reposent sur des capacités de batteries comprises entre 540 et 624 kWh bruts, soit un niveau désormais standard pour les poids lourds électriques longue distance. L’autonomie mesurée sur le terrain se révèle même souvent supérieure aux prévisions des constructeurs, notamment lorsque les conducteurs sont formés à l’éco-conduite et acquièrent de l’expérience avec ces véhicules.

Autrement dit, sur le plan technique, les freins à l’adoption ne sont plus dans le véhicule lui-même. Les camions électriques roulent, leurs performances sont fiables, et les conducteurs confirment que leur usage quotidien est compatible avec des opérations de transport longues distances — à condition d’anticiper et de planifier différemment.

Point remarquable : les conducteurs adoptent rapidement les camions électriques, séduits par le confort de conduite, le silence et la réduction des vibrations. La transition s'allie ici avec le progrès social.

Une empreinte carbone en forte baisse

Les gains environnementaux sont considérables : en moyenne, l’électrification des poids lourds permet une réduction de 80 % des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie. Et lorsque cette transition s’accompagne d’une réorganisation des flux logistiques, c’est l’empreinte carbone globale qui diminue davantage.

C’est ce qu’illustre l’exemple de Jacky Perrenot. Chaque jour, un camion électrique du transporteur quitte le dépôt de Noves, près d’Avignon, batterie pleine et remorque chargée. Il descend vers Fos-sur-Mer pour déposer la remorque chez un premier client, en atteler une autre, puis remonte au dépôt. L’après-midi, un second conducteur prend le relais pour effectuer la même rotation. Ce trajet était auparavant assuré par deux camions diesel distincts, chacun livrant un client séparément. La combinaison entre électrification et mutualisation des flux permet ici de réduire à la fois les émissions et le nombre de véhicules mobilisés, tout en maintenant le même niveau de service.

Cette logique de rationalisation opérationnelle se retrouve également dans le projet European Clean Transport Network (ECTN). Sur un corridor longue distance reliant Lille à Avignon, trois camions électriques se relaient grâce à un réseau de terminaux équipés de bornes de recharge rapide et à l’échange de remorques entre segments. Cette organisation en relais permet une utilisation maximale des véhicules, une réduction significative des coûts d’exploitation et une forte baisse des émissions. Elle montre que l’électrification, lorsqu’elle est pensée dans une logique d’optimisation globale, peut transformer en profondeur la manière d’organiser le transport longue distance.

Mais cette transition n’est pas anodine. Contrairement aux camions diesel, les véhicules électriques exigent une anticipation forte : planification des trajets, identification et réservation des points de recharge, suivi en temps réel de l’état de la batterie, adaptation des horaires et parfois du chargement. Là où le diesel autorise une grande souplesse opérationnelle, l’électrique impose une gestion plus fine et plus rigoureuse des flux.

Sur le plan économique, l’équation reste encore fragile et dépend étroitement de la stratégie de recharge et des dispositifs de soutien. L’expérience des transporteurs montre qu’une recharge majoritairement effectuée sur des bornes privées — souvent pendant les heures creuses, la nuit — permet d’approcher, voire d’atteindre, la parité économique avec le diesel. À l’inverse, le recours aux bornes publiques reste nettement plus onéreux : le coût au kilowattheure peut être de deux à trois fois supérieur, ce qui dégrade rapidement la compétitivité.

Les chargeurs doivent s'impliquer dans la transition

Autre point à relever : le surcoût à l’achat des camions électriques — aujourd’hui encore environ deux fois plus élevé que celui d’un véhicule diesel —, n’est que partiellement compensé par des aides publiques (bonus écologique, programmes d’investissement ou appels à projets). Dans des cas comme ceux de XPO Logistics ou European Clean Transport Network, ce sont précisément ces mécanismes de soutien et l’optimisation de l’utilisation des véhicules (plus de kilomètres parcourus par an, suppression des découchés conducteurs) qui permettent d’atteindre un équilibre économique crédible.

Ces expériences montrent aussi que l’électrification n’est pas seulement une question de technologie, mais d’organisation et de coordination. Les transporteurs interrogés insistent sur le rôle clé des chargeurs : sans engagement contractuel long terme, les investissements restent risqués et l’optimisation difficile. La réussite repose sur une collaboration structurée entre tous les acteurs de la chaîne — constructeurs, opérateurs de recharge, transporteurs et clients — afin de sécuriser les volumes, planifier les flux et partager les risques.

Aujourd’hui, la transition est en cours et elle s’accélère. XPO Logistics teste ses camions électriques sur des rotations régionales avec succès, ECTN déploie des corridors électriques mutualisés, Jacky Perrenot optimise ses flux multi-sites, et Dania Connect fait rouler ses véhicules sur 1 400 km entre Copenhague et Paris — un trajet qui semblait encore inenvisageable il y a quelques années. Chaque flux est une expérience concrète d’apprentissage : planification, optimisation, montée en compétence des conducteurs et adaptation économique. Ensemble, ces pionniers montrent que le transport électrique longue distance sur les routes européennes est déjà une réalité. 


Les propositions pour accélérer l’électrification longue distance

Pour que le camion électrique devienne une solution compétitive et réplicable à grande échelle, les transporteurs identifient plusieurs leviers essentiels :

  • Impliquer les chargeurs sur le long terme : mettre en place des contrats pluriannuels pour sécuriser les volumes, partager les risques liés au surcoût initial et donner de la visibilité aux transporteurs.

  • Offrir un cadre réglementaire et fiscal stable : assurer la pérennité des dispositifs de soutien, moduler les péages en fonction des émissions, permettre la récupération de la TICPE et adapter les réglementations sur les poids maximums à l’essieu moteur.

  • Déployer un réseau fiable de bornes haute puissance : garantir une couverture suffisante sur les grands axes, une supervision en temps réel et des tarifs compétitifs pour maîtriser les coûts d’exploitation.

  • Renforcer la planification grâce aux outils numériques : développer des solutions capables de localiser les bornes disponibles, de suivre la consommation en temps réel et d’optimiser les stratégies de recharge et les itinéraires.

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